Savons-nous réellement à quel point notre organisme et l’environnement sont contaminés par les poisons agricoles ?
Les pesticides sont toxiques et leur usage ne profite finalement qu’à l’industrie chimique y compris l’industrie pharmaceutique…
Cancers, maladies du système nerveux, maladies chroniques, troubles du système endocrinien, obésité… Aujourd’hui une foule d’études scientifiques prouvent que les maladies liées à l’exposition aux pesticides sont potentiellement graves. Les principales victimes ? Les travailleurs agricoles et les consommateurs, surtout les enfants et autres personnes fragiles ou très exposées aux aliments traités chimiquement.
Dans son livre très bien documenté « Notre poison quotidien – La responsabilité de l’industrie chimique dans l’épidémie de maladies chroniques » paru aux Editions La Découverte en 2011, la journaliste Marie-Monique Robin retrace les origines des pesticides modernes et de leur réglementation. Les lignes qui suivent en résument le contenu.
Qu’entend-t-on exactement par le mot « pesticide » ?
La grande famille des pesticides est identifiable par le suffixe « cide » du latin caedere qui signifie tuer, abattre : herbicides contre les mauvaises herbes, fongicides, contre les champignons, insecticides contre les insectes, molluscicides contre les escargots, limaces et autres mollusques, les nématicides contre les vers, les rodenticides contre les rongeurs ou les corvicides contre les corbeaux…
Le marché mondial des pesticides est dominé par six géants: BASF Agro SAS, Bayer Cropscience, Dow Agrosciences, Du Pont, Monsanto et Syngenta. Ces multinationales préfèrent d’ailleurs faire appeler leurs poisons « produits phytopharmaceutiques » ou « produits phytosanitaires » plutôt que pesticides, le but étant de tromper l’agriculteur et le consommateur. Leurs produits ne serviraient donc pas à « tuer » mais seraient comparables à des médicaments qui servent à protéger la santé des cultures… Ce glissement sémantique inventé par l’industrie a été peu à peu adopté par les pouvoirs publics, signe de l’influence croissante de ses lobbies.
Les pesticides, des armes chimiques à l’origine
L’histoire de la plupart des pesticides utilisés aujourd’hui est intimement liée à celle de la guerre chimique. Il y eut d’abord le gaz de chlore ou dichlore, puis le phosgène, un mélange de dichlore et de monoxyde de carbone utilisé dans les tranchées durant la Première Guerre Mondiale. Le phosgène est aujourd’hui largement utilisé dans la fabrication de pesticides. Des dérivés du funeste Zyklon B, utilisé par les nazis dans les chambres à gaz, a servi à traiter les céréales jusqu’à la fin des années 1990… Les recherches sur les gaz chlorés menées par des chimistes de renom souvent en étroite collaboration avec les autorités militaires ont finalement donné un autre pesticide tristement célèbre, le DDT, un composé organochloré largement utilisé pendant la Deuxième Guerre Mondiale pour lutter contre les poux et dès le lendemain de celle-ci, comme insecticide miracle de la « Révolution Verte » capable de tuer n’importe quel insecte nuisible. Le DDT a été utilisé par les ménagères dans leurs maisons, par les agriculteurs, dans les forêts, dans les rivières…De 1950 à 1980, plus de 40000 tonnes de DDT ont été déversées chaque année dans le monde. Vint ensuite l’agent orange.
Quelle dose de pesticides est acceptable ?
L’établissement de la mesure de la « Dose Journalière Acceptable » ou DJA, (en anglais, Acceptable Daily Intake ou ADI), l’outil principal de la réglementation des produits toxiques contaminant la chaîne alimentaire, est une imposture scientifique car elle n’a aucune base scientifique prouvée. Selon Marie-Monique Robin : «… (la mesure de la dose journalière acceptable) est le résultat d’une décision arbitraire érigée en concept pseudo-scientifique pour couvrir les industriels et protéger les politiciens qui ont besoin de se cacher derrière des experts pour justifier leur action ». Exprimée en milligramme de produit par kilo de poids corporel, cette mesure paraît très sérieuse et elle rassure. Elle établit « l’acceptabilité » d’un risque. Au fond, c’est le « bénéfice économique » qui prime sur la santé et l’environnement.
Concrètement, quel type de risque est jugé « acceptable » selon cette mesure ?
Par exemple, le risque posé par un produit toxique de causer un cancer par million de personnes exposées. Voilà un risque « acceptable ». C’est vrai qu’une personne sur un million, cela paraît peu. Mais à l’échelle d’un pays cela signifie des dizaines voire des centaines de personnes…
Théoriquement, la DJA désigne la quantité maximale d’un poison qu’on peut ingurgiter sans tomber malade. Mais que se passe-t-il si par malheur on consomme plusieurs fruits, légumes ou céréales traités avec le même poison ?
Pour résoudre ce type de problème, une nouvelle notion a vu le jour : les « Limites Maximales de Résidus » (LMR). Le but : établir une valeur globale maximale de poisons pouvant être ingurgités sans risque… Cependant, le même taux est appliqué qu’il s’agisse d’un adulte, d’un enfant ou de toute autre personne fragile. Par exemple, si un adulte peut supporter un taux X de résidus de pesticides sans conséquences néfastes (ce qui reste à prouver), qu’en est-il d’un tout petit enfant ou d’une personne âgée ou malade ou sous-alimentée ? Si les résidus toxiques contenus dans une assiette de fruits traités aux pesticides peuvent être tolérés par un adulte de 60 kg, peuvent-ils l’être par un enfant de 12 kg ?
Depuis le 1er septembre 2008, les LMR sont fixées par la Commission Européenne ; dans son travail d’harmonisation des LMR nationaux souvent très différentes, la Commission a cédé à la pression exercée par l’industrie pour un nivellement vers le bas. Concrètement, cela signifie que les limites plus strictes appliquées dans certains pays comme l’Allemagne ont été relâchées…
L’effet cocktail : explosif
Les systèmes d’évaluation des pesticides n’ont jamais tenu compte du fait que les substances chimiques peuvent interagir ou s’additionner, voire créer de nouvelles molécules toxiques. L’effet des « cocktails » chimiques est connu pour certains médicaments. Mais en matière alimentaire, le mystère est total. Comment éviter ces cocktails ? A la source ? Comment un agriculteur pourrait-il éviter les interactions éventuelles entre les pesticides qu’utilise son voisin et ceux qu’il utilise lui-même sur ses cultures? Et notre corps… quel cocktail nous habite ?
Dans son livre, Marie-Monique Robin lève le voile sur la soupe chimique qui nous pollue et ses implications parfois dramatiques. Elle conclut qu’une interdiction des pesticides permettrait non seulement d’améliorer et de prolonger la vie de millions d’êtres humains ; elle permettrait aussi des gains économiques considérables grâce à la réduction des frais de traitement médical et aux gains de productivité notamment. Le principe de précaution devrait être déterminant. Mais le principe de précaution en la matière va à l’encontre des intérêts de l’industrie pharmaceutique… D’ailleurs ceux qui nous vendent les médicaments pour soigner nos maladies chroniques sont aussi souvent ceux qui nous polluent… Beaucoup d’entreprises pharmaceutiques fabriquent aussi des pesticides : Bayer, Du Pont, Syngenta… Le cynisme absolu!
Source : « Notre poison quotidien – La responsabilité de l’industrie chimique dans l’épidémie de maladies chroniques », Marie-Monique Robin (Editions La Découverte, ARTE Editions).